Deux radios sont alors créées dont l'une, Radio Surobi, est installée dans la ville éponyme à l'initiative du colonel Benoît Durieux, chef de corps du 2e Régiment étranger d'infanterie (REI). Alors que le déploiement de ses légionnaires est en préparation, celui-ci envisage une approche originale du contact avec les populations.
Plutôt que de vouloir « gagner les cœurs et les esprits » (la terminologie de bon ton en vigueur à l'époque), l'officier préfère « rapprocher » les Afghans. « La crise est sociale, affirme-t-il. Elle réclame une solution afghane. » Il pense alors qu'une radio communautaire peut permettre, sinon de la trouver, tout le moins de la rechercher... Pour monter ce projet, le colonel Durieux va s'adresser à un journaliste indépendant : Raphaël Krafft.
« Captain Teacher »
Raphaël Krafft n'a rien d'un militaire. Sa seule expérience date du service national et il n'a jamais vraiment entendu parler de la réserve opérationnelle. Il se prend d'enthousiasme pour le projet et accompagne la Légion en Afghanistan avec des « gratons » de capitaine tout frais.
Radio Surobi est installée dans un ancien bunker soviétique, au cœur de la base avancée des Français. Les légionnaires retapent comme ils peuvent le local et le transforment tant bien que mal en un studio radio. Raphaël Krafft et ses aides de camp rencontrent Aziz Rahman, un notable local, qu'ils chargent d'assurer la direction de ce nouveau média. L'Afghan recrute quelques habitants de la région qui sont alors formés aux rudiments du journalisme par celui qu'ils surnomment rapidement « captain teacher ».
Trois questions à Raphaël Krafft |
Vous avez revêtu, dans le cadre de votre mission au sein de Radio Surobi, l'uniforme de l'armée française. Connaissiez-vous auparavant les possibilités proposées par la réserve opérationnelle ? |
L'objectif pour le capitaine Krafft est de monter une radio d'Afghans pour les Afghans. « J'ai eu carte blanche, se souvient-t-il. Je n'ai jamais eu autant de liberté pour faire mon métier qu'au sein de la Légion. » Une situation paradoxale qui a été le fait de sa persévérance personnelle, mais aussi de l'appui des cadres du REI. Progressivement, les journalistes débutants réalisent leurs premiers reportages et organisent leurs émissions.
L’étape suivante se révèle encore plus ambitieuse : Raphaël Krafft décide en effet de diffuser des émissions en direct. Alors que les autorités militaires de la Task Force Lafayette craignent des dérapages, les essais se déroulent bien : des poètes afghans se rencontrent dans les studios de Radio Surobi pour partager leurs œuvres avec les auditeurs. L’audience augmente progressivement et – gage de cette réussite – les habitants réclament leurs chansons préférées à l'antenne via des messages qu’ils déposent dans une boîte aux lettres installée en centre ville. « Tout le monde savait que Radio Surobi était financée par l'armée française, explique Raphaël Krafft. Les habitants de toute la région nous en étaient reconnaissants. »
Pour le colonel Durieux, c'est une réussite. Il sait désormais que cette radio d'information locale, qui gagne en crédibilité de jour en jour, a supplanté les rumeurs et mensonges de l'ennemi. « Les principes de l'opinion publique s'appliquent aussi en Afghanistan, remarque l'officier. Les Afghans ne sont pas plus bêtes que d'autres : si un média les intoxique, ils s'en rendent parfaitement compte. »
Après la gloire, une lente agonie
Raphaël Krafft effectuera deux séjours en Afghanistan pour former puis, plus tard, accompagner les journalistes dans le développement de Radio Surobi. Celle-ci fonctionne un temps selon les règles initialement établies entre les légionnaires et le « captain teacher ». Puis, au gré des relèves de régiments, les Afghans finissent par perdre progressivement en autonomie.
Lorsque l'armée française quitte la Surobi, les soldats de l'Armée nationale afghane (ANA) prennent le relais dans la base avancée. Le commandant afghan s'approprie alors les locaux de Radio Surobi qu'il déménage dans un préfabriqué. La radio, systématiquement obligée de réduire le temps d'antenne, périclite rapidement.
Peinant à se financer, elle sollicite – en vain – l'équipe de reconstruction provinciale (PRT) américaine ainsi que l'aide au développement française. Pourtant, la petite radio locale avait été, un temps, approchée par de grands médias nationaux. Abandonnée par les Français, elle semble désormais condamnée à disparaître.
Interrogé sur la question, un diplomate en poste fin 2013 avoue ne pas avoir envie d'investir ses maigres moyens dans cette aventure : « En cinq ans, rien n'a été fait pour trouver des solutions au financement de Radio Surobi. » Face à cette mauvaise gestion, pas question pour l'ambassade de France de concéder deux mois de financement de ce qui semble être une longue agonie...
Retrouvez le récit de cette expérience dans l'ouvrage Captain Teacher, une radio communautaire en Afghanistan, publié par Raphaël Krafft aux éditions Buchet Chastel en septembre 2013.